telephone@4x

email@4x

01 42 47 08 67

Garder un enfant handicapé ? L'échographie qui a changé ma vie

« Un troisième enfant maintenant ? Non, décidément, je ne voulais pas. Charlotte avait déjà 13 ans, Louis en avait 9. Quels liens pourraient-ils avoir avec un frère ou une sœur de dix ans plus jeune ?

Je ne me voyais vraiment pas, à 39 ans, en train de donner le biberon ou me relever la nuit pour calmer les pleurs d’un bébé.

Christophe, mon mari, ne me comprenait pas. Lui, l’idée d’avoir un enfant sur le tard l’enchantait : “Tu ne trouverais pas ça sympa ? Avec ce que je gagne, notre grande maison et toi qui ne travaille plus, pourquoi refuser cet enfant ?”

Il avait beau dire, je n’avais pas l’intention de céder. Cette grossesse était un accident, comme on dit, et j’entendais bien l’oublier au plus vite…Notre vie confortable, nos deux enfants sans problèmes, notre cercle d’amis à Toulouse remplissaient très bien ma vie.

Ça peut paraître égoïste, mais je voyais les choses comme ça. D’ailleurs, je n’ai pas caché mes intentions à ma gynécologue. Je la connais depuis quinze ans, elle est presque une amie. “Je vous comprends, Claire, m’a-t-elle dit, je vous demande juste de réfléchir un petit peu. De toute façon, nous allons faire une échographie, c’est nécessaire pour l’IVG.”

Basculement à l’échographie

Comment aurais-je pu me douter que cet examen allait changer ma vie ? J’étais enceinte de presque deux mois quand j’ai passé l’échographie.

Je me rappellerai, toujours le visage fermé de ma gynéco devant l’écran où elle voyait mon bébé. “Toujours décidée pour l’IVG ?” m’a -t elle demandée. J’ai fait oui de la tête. “ C’est sans doute mieux comme ça, a-t -elle dit, cet enfant ne se développe pas normalement.”

Elle a voulu m’expliquer sur l’écran ce qu’elle voyait d’anormal. Je l’écoutais à peine. Cet enfant, j’avais soudain envie de le garder. Peut-être parce qu’il avait un problème, parce que je me sentais responsable de lui, ou tout simplement parce que je me rendais compte qu’il avait déjà une existence…

« Cet enfant a besoin de toi »

En rentrant à la maison, je n’arrêtais pas de me répéter : “Claire, tu ne peux pas faire ça, cet enfant a besoin de toi.” Quand j’en ai parlé à mon mari, il m’a regardée avec des yeux ronds.

“Je n’arrive pas à te comprendre, m’a-t-il dit, ce matin encore, tu n’en voulais pas de ce bébé ! Et maintenant que tu sais qu’il a un problème, peut-être grave, tu veux le garder ?”

Je l’ai regardé droit dans les yeux : “Christophe, cet enfant, il faut que je le garde, je le sens, je ne peux t’expliquer pourquoi, mais je suis sûre d’avoir raison.”

Connaissant mon caractère têtu, mon mari n’a pas insisté. Il devait se dire que c’était une lubie, qu’après d’autres examens, je me rendrais compte de mon erreur, qu’il serait encore temps pour un avortement thérapeutique. C’est aussi ce que m’a proposé ma gynéco à mon quatrième mois de grossesse.

Un handicap accueilli

« Claire, maintenant, c’est certain, le cerveau de votre bébé est touché, mais dans quelles proportions, je ne sais pas.” Loin de me décourager, ce pronostic me donnait encore plus envie de mettre au monde ma fille.(…)

J’ai passé une amniocentèse, elle m’a rassurée, mon bébé souffrirait probablement de séquelles neurologiques, mais rien qui puisse l’empêcher de se développer normalement.

Christophe voulait quand même que j’avorte, mais mes enfants, à qui j’avais tout expliqué, ont eu une réaction toute différente. Charlotte m’a dit : “Tu verras maman, je t’aiderai à t’en occuper.” Je reconnaissais bien là la générosité de ma fille…

En entrant à la maternité, je me sentais sereine, en accord avec moi-même. Et mon accouchement, je l’ai beaucoup mieux vécu que les deux précédents.

Peur d’être père d’une enfant handicapée

Christophe avait préféré attendre dans le couloir. Je crois qu’il avait peur de voir cet enfant naître, peur de ce qu’il allait découvrir.

Ma fille était magnifique, plus belle que ne l’avaient été son frère et sa sœur à la naissance. J’en étais très fière.

Christophe m’a rejoint quelques minutes plus tard, il s’est dirigé vers moi, m’a demandé comment ça allait. En souriant, je lui ai dit “Tu ne regardes pas ta fille ?” Marion était avec l’infirmière pour sa pesée. Christophe a pris le bébé, l’a tenu un peu bêtement quelques secondes, puis il a dit : “Puisqu’elle est là, on va l’aimer cette petite…”

Nous avons échangé un regard complice. Je me suis dit que mon mari était vraiment un type bien… Marion a trois ans aujourd’hui, et mon choix de la garder, je ne l’ai pas regretté une seule seconde, même si notre fille souffre bien de problèmes neurologiques…

Elle ne parle pas très bien, elle a du mal à coordonner ses mouvements, comme si ses gestes ne répondaient pas à ce que lui commande son cerveau, et, du coup, elle casse beaucoup de choses. Mais que sont ces petits inconvénients par rapport à tout ce qu’elle nous a apporté ? A l’amour qu’elle nous donne ?

Handicap oublié ?

Charlotte et Louis ont pour leur petite sœur une véritable adoration, jouent avec elle, sont d’une patience formidable…Son comportement un peu bizarre ne les gêne pas du tout, au contraire : ils l’aiment encore plus parce qu’ils se sentent responsables. Grâce à eux, Marion fait beaucoup de progrès.

Christophe, qui était si inquiet, en oublierait presque son handicap. Quand il chahute pour rire avec Marion, je dois même lui rappeler qu’elle n’a que trois ans !

Transformation intérieure

Quant à moi, c’est bien simple, Marion m’a transformée. Ce sont toutes mes valeurs qui ont été bouleversées. Avoir de l’argent, une position sociale, tout ce dont j’étais si fière ne compte plus. Je me moque que certaines de nos relations se soient détournées de nous parce que la présence de notre fille les gênait – l’une de mes ex-amies a même osé me dire qu’elle nous plaignait d’avoir une enfant handicapée !

Avec Marion, j’ai appris le sens des priorités. Un “Je t’aime, maman” prononcé maladroitement, un petit exercice qu’elle réussit après dix échecs, la voir jouer heureuse dans le jardin avec son frère ou sa sœur…voilà ce qui compte ! Je suis devenue quelqu’un de meilleur, de plus profond, et ça, c’est à Marion que je le dois … »

Claire,  témoignage paru dans Maxi

Garder un enfant handicapé ? L'échographie qui a changé ma vie