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Donner mon enfant valait mieux que le tuer

Je suis algérienne. J’étais amoureuse d’un garçon qui m’avait promis le mariage. J’avais 23 ans. J’étais l’aînée de huit enfants. J’avais ouvert la voie à mes sœurs, arraché le droit d’aller en 6ème, de passer mon bac, de faire des études et… j’attendais un bébé.

S’il l’avait appris, mon père aurait pensé que j’avais voulu tout cela pour pouvoir coucher. Il ne m’aurait pas tuée, non, ça aurait été pis. A cause de moi, il aurait perdu son honneur et sa fierté. Cette grossesse aurait ruiné tous mes acquis et entraîné dans ma dégringolade ma mère, mes sœurs et toute ma famille. C’était une catastrophe.

Mon copain a eu peur. Il m’a laissée tomber. J’aurais pu le poursuivre, mais notre histoire devait rester secrète et le temps pressait. Impossible d’avorter.

Accouchement sous X

Il restait l’adoption praticable en France et cette idée m’a soulagée : donner mon enfant valait mieux que le tuer. Ma mère et moi sommes parties pour Marseille en justifiant tant bien que mal nos trois mois d’absence. Quand on m’a parlé d’accouchement sous x, j’ai juste entendu que c’était gratuit et secret. Il faut dire que, dans ces cas-là, on n’est pas dans son état normal. J’étais une boule d’angoisse, incapable de penser à la suite. Je vivais dans l’urgence.

Je n’ai pas voulu voir le bébé.

Je l’ai juste entendu pleurer. On m’a dit que c’était un magnifique garçon. Je suis sortie quatre jours plus tard, malade, vidée, ne me rendant compte de rien.

Brisée

Je n’étais pas moi-même. J’étais incapable de réfléchir, paralysée, manipulable. (…)

Ma famille et l’honneur étaient saufs, mais moi, j’étais brisée. Je me levais et me couchais en pensant à mon fils. Plus les années passaient, plus il était présent. Je me disais : « Il a 7 ans, il a 8 ans… et il n’est toujours pas là. » Je me demandais aussi s’il était heureux, s’il connaissait mon existence ? Je me posais des questions, des plus simples aux plus folles. Je regardais les gamins dans la rue en me disant que, si je le croisais, je le reconnaîtrais…

Puis, j’ai rencontré le grand amour. Cet homme avait un fils que je choyais, mais en pensant au mien. Nous n’avons pas pu avoir d’enfant. Je suis sûre que je me punissais ainsi. D’ailleurs, je voulais une fille, mais je pensais : « et si elle rencontre son frère ? Ils vont tomber amoureux… »

Lancement des recherches

C’est une amie qui m’a convaincue d’entreprendre des recherches.

Je me souviens d’avoir téléphoné à une association. On m’a demandé si j’étais une enfant x et j’ai répondu en sanglotant : « Non, je suis une mère. »

Il m’a fallu trois semaines pour écrire la lettre du lever de secret. Mon fils me cherchait aussi. Quand ses parents adoptifs ont appris mon désir de le revoir, ils ont eu le choc de leur vie. On leur avait tellement dit que je n’avais aucune chance de le retrouver…

Plus tard, sa mère adoptive m’a dit qu’elle avait eu peur que je vienne le reprendre. Mon fils aussi a été secoué. Il a mis trois semaines avant de réagir. C’est l’assistante sociale de son lycée qui m’a téléphonée au travail en m’annonçant : « J’ai votre fils en face de moi. » On est là et on ne sait pas quoi dire. Je l’entendais demander : « Est-ce que j’ai des frères et sœurs ? Est-ce qu’elle vit avec mon père ? » J’ai oublié le reste. Je me souviens seulement qu’il avait un drôle d’accent de Marseille et qu’il me disait vous. Je lui ai dit de me dire tu.

La rencontre

Quand j’ai eu raccroché, je suis devenue comme folle. Je suis allée voir ma copine et j’ai hurlé, j’ai pleuré en disant que j’avais retrouvé mon fils. En rentrant à la maison, j’ai trouvé une enveloppe avec une lettre et une photo de lui. Dans sa lettre, il m’expliquait qu’il était content de me retrouver. Que ses parents étaient les personnes les plus importantes de sa vie. Qu’il ne m’en avait jamais voulu et qu’il voulait que l’on tisse des liens… Quand j’ai eu sa mère au téléphone, elle m’a remerciée de lui avoir fait cadeau de son fils et moi je l’ai remerciée de lui avoir donné une famille. Ils sont venus à Paris pour Noël. J’avais acheté des tas de cadeaux et un immense sapin. Enfin, le 25 décembre 1999, j’ai pu serrer mon fils dans mes bras pour la première fois. Il avait 19 ans. »

Floriane, 44 ans, témoignage paru dans Avantages

Donner mon enfant valait mieux que le tuer