Connaissez-vous le délit de maternité ? Enceinte au travail, vous êtes coupable du délit de maternité. La discrimination au travail pendant la grossesse est une situation courante dans notre pays. Mais les femmes bénéficient d’une protection légale contre le licenciement pendant la grossesse, le congé maternité et les quatre semaines suivant l’expiration de ce congé. Marie Claire nous en parle dans son numéro de juin 2012. Extraits.
« Celle qui était là avant toi nous a fait un coup bas : elle a fait un môme. T’as pas intérêt à faire pareil si tu veux garder ton boulot », dixit le collègue de Charlotte, chargée de clientèle, le premier jour. Béatrice, hôtesse d’accueil, a, pour sa part, été licenciée dès son retour de congé maternité. (…) En 2012, la discrimination à la grossesse n’est pas en voie de disparition. Elle peut se manifester selon tout un éventail de situations. Des menaces à peine voilées, (…) jusqu’au licenciement abusif sur un motif fantôme (…), en passant par la rétrogradation, l’annulation d’une augmentation, la mise au « placard », le harcèlement moral, le refus d’embauche ou la rupture de période d’essai. Et tout ceci, pour cause de grossesse gênante. Ou plutôt, comme tient à le préciser maître Boussard-Verrecchia, avocate en droit social, par « discrimination en raison de la maternité » en général.(…)
(…). Ce qui dérange l’employeur, c’est aussi le congé parental, le temps partiel, les absences pour cause d’enfant malade, les horaires de fin de journée, le manque de mobilité géographique, etc. « J’appelle ça le délit de maternité, en référence au délit de sale gueule », sourit Brigitte Grésy. Inspectrice générale des Affaires sociales, elle est l’auteure d’un « Petit traité contre le sexisme ordinaire » (éd. Albin Michel). » Les employeurs considèrent les femmes comme des agents à risques, comme si avoir des enfants allait les empêcher d’être efficaces. » (…)
Selon une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE, 2010), les femmes de plus de 39 ans sans interruption de carrière gagnent environ 23% de plus que celles qui ont fait des pauses pour raison familiale. Une belle différence, si l’on considère qu’avec la moyenne française de deux enfants par femme, la totalité de leur absence en congé maternité serait de 32 semaines sur environ 2200 semaines d’une vie de travail, soit… 1,5% de leur temps! « Et pourtant, avoir un enfant bloque la promotion et entraîne environ deux ans de freinage de carrière » confirme Brigitte Grésy. C’est le fameux « plafond de mère », comme l’appelle finement Marlène Schiappa. Elle est la fondatrice de Maman travaille, premier grand réseau de mères actives en France. Un plafond à la solidité décourageante, qui commence cependant à se fissurer.
D’après le Défenseur des droits, (…), les réclamations sur le sujet se sont multipliées par cinq en trois ans. (Les) femmes sont de mieux en mieux informées de leurs droits. Des droits bafoués tous les jours, comme, par exemple, les questions sur les projets de vie familiale en entretien d’embauche. Ce que connaît environ une femme sur quatre, comme Marion, chef de projet. «Au bout de cinq minutes le responsable m’a demandé; « Vous êtes mariée, vous avez 30 ans … Vous comptez avoir des enfants? » J’ai dit oui. Ils ne m’ont jamais rappelée, je ne sais pas si ça a joué. »(…)
Toutes les femmes ne sont (…) pas conscientes de leurs droits. Parfois elles ne savent pas comment prouver que l’employeur les a discriminées. (il cache en général le véritable motif sous un autre prétexte). Mais on avance(…)
« Des cas de réparations ont fait du bruit dans la presse » se réjouit maître Boussard-Verrecchia. (…) Des chiffres qui ne réparent pas tout, puisque ces femmes ont perdu leur emploi, voire leur confiance en elle. Or il n’est pas facile de se lancer dans des batailles juridiques lorsqu’on est enceinte ou qu’on vient d’accoucher. Entre la fatigue, les bouleversements hormonaux et la petite révolution de vie qu’entraîne un bébé. (…) Et certaines regrettent aujourd’hui de n’avoir rien fait. Elles peuvent encore agir, d’après maître Boussard-Verrecchia. « Depuis la loi de 2008, nous avons cinq ans à compter de la révélation de la discrimination pour bouger. »
(…) Avant d’aller jusqu’au tribunal, il faut frapper à la porte des délégués du personnel, de la médecine du travail, saisir l’inspection du travail… Et, bien sûr, saisir le Défenseur des droits, qui assiste gratuitement la discriminée dans la constitution de son dossier et l’aide à identifier les procédures adaptées à son cas, par exemple, en allant jusqu’aux prud’hommes. Enfin, le recours pénal est aussi possible, en déposant une plainte auprès du procureur de la République ou du commissariat de police. « Parfois, il suffit que l’employée montre qu’elle est consciente de ses droits pour que l’employeur recule, note Dominique Baudis, Défenseur des droits. Une saisine peut suffire à un rétablissement de situation.(…) »
Il est assez difficile d’établir une cartographie des domaines professionnels « antimamans ». Le privé est plus « dangereux » que le service public. Les entreprises avec gestion individuelle des carrières, sans avancement automatique selon l’ancienneté, aussi. En revanche, une chose est sûre: ce n’est pas toujours une question de patronat masculin. (…) Selon une récente étude britannique, (…) une femme manager sur quatre serait réticente à embaucher une femme mère ou en âge de l’être.
(…)
Alors, pour vivre au mieux sa maternité au boulot, quelles sont les solutions ?
« D’abord, en informer votre employeur très tôt, avant les collègues, pour ne pas qu’il l’apprenne par bruits de couloir, conseille Dominique Baudis. (…) »
Maître Boussard-Verrecchia ajoute: « Annoncez le verbalement et par courrier avec accusé de réception, et ayez le réflexe « preuves écrites », à savoir : reformuler tout échange verbal par mail. Et si on vous questionne sur vos envies d’enfants en entretien d’embauche, mentez sans vergogne ! » Autre chose ? « Ayez confiance en vous. Plus vous serez bien dans vos baskets et ferme sur vos droits, mieux ça se passera (…)», ajoute Isabelle Fontaine. «N’hésitez pas à donner de vos nouvelles pendant votre congé maternité. Et exigez un entretien pour faire le point au retour, il est obligatoire », conclut Brigitte Grésy. (…)Autre point à revoir : la gestion du temps. « C’est capital ! En France, plus on reste tard au travail, mieux on est vu, comme si c’était un signe d’efficacité … Avec une plus grande souplesse d’horaires, une meilleure gestion des RTT, et la possibilité de télétravailler un ou deux jours par semaine, on avancerait mieux. » Il faudrait aussi que les modes de garde se développent suffisamment pour couvrir tous les besoins d’une société où plus de 80% des femmes travaillent. Enfin, et c’est le nerf de la guerre, il faudrait que les entreprises fassent des efforts financiers. Par exemple, payer des places en crèche, réduire les écarts de salaires, fournir des CESU (chèque emploi service universel, financé en partie par l’entreprise et permettant d’employer quelqu’un à domicile) aider les familles à bénéficier de bonnes mutuelles … (…)
Que dit la loi?
Il est formellement interdit par le Code du travail de refuser d’embaucher, de licencier ou de rompre le contrat de travail au cours d’une période d’essai d’une salariée en raison de sa situation de famille ou de sa grossesse. Il est également interdit de rechercher toutes informations concernant l’état de grossesse d’une femme à l’embauche (articles L1132-1, L1142-1 L1225-1). Et le Code pénal, qui qualifie de discrimination toute distinction opérée à raison de la situation de famille ou de la grossesse, la punit de trois ans d’emprisonnement et de 45000 € d’amende lorsqu’elle conduit à refuser d’embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne (articles 225-1 et 225-2).
« Comment lutter contre le délit de maternité ? » Par Caroline Rochet, Marie Claire, juin 2012